Les stratégies de reproductions des plantes de haute montagnes

En haute montagne, les plantes doivent s’adapter afin d’assurer leur reproduction.

Deux stratégies principales permettent aux plantes alpines de se maintenir génération après génération : le maintien d’une reproduction sexuée ou le recours à la reproduction végétative. Le choix de ces stratégies de reproduction permet aux plantes de montagne de pallier aux contraintes environnementales

Pour éviter les aléas de la reproduction sexuée, de nombreuses plantes alpines ont recours une reproduction végétative. Il ne s’agit pas d’une spécificité des végétaux de montagne, toutefois la proportion de plantes alpines utilisant ce mode de reproduction augmente avec l’altitude.  Les plantes annuelles, dites thérophytes, sont rares.

Attendre les conditions favorables sous forme de graine.

La flore des Pyrénées compte moins de 2% de plantes alpines annuelles. Ces espèces dépendent exclusivement du succès de la reproduction sexuée et donc de l’environnement. Même si les graines sont produites à temps, elles nécessitent de nouveaux sites propices à la germination, souvent réduits à cause du substratum (zones rocheuses, éboulis) et de l’occupation de l’espace par d’autres espèces. Au contraire, les espèces pérennes ou vivaces peuvent attendre des conditions favorables pour se reproduire. Cas particulier, dans les biotopes alpins arides ou méditerranéens, les plantes annuelles sont plus répandues. Les graines représentent alors une forme de résistance.

Le sédum de Candolle est une minuscule plante annuelle croissant en petites populations dispersées. Les tiges dressées sont très courtes, densément garnies de feuilles charnues, ovoïdes, glabres, et dont la couleur varie du translucide au rouge en passant par le vert. Les fleurs ont 5 pétales à corolle blanche à la base et rose-pourpre vers les extrémités pointues des pétales. Il pousse sur les ochers, moraines sur substrat acide, de 1500 à 3000 m. Il est dédié au célèbre botaniste  Pyramus de Candolle fondateur de la géographie botanique.

Sedum de Candolle. Sedum candollei, Raym. et Hamet
Botryche lunaire. Botrychium lunairia, (L.) Sw.

Le botryche lunaire une petite fougère qui a des spores pouvant résister pendant plusieurs décennies. Cette plante qui pousse dans les pelouses écorchées dans des situations très sèches, développe une pousse aérienne au printemps quand les conditions hydrique sont favorables. Elle fructifie en fin de printemps ou en été et se flétrit après la maturation des spores. Le limbe stérile a des lobes rappellant par leur forme caractéristique des petits croissants de lune. La feuille fertile forme une grappe ramifiée, dépassant la feuille stérile à maturité.

Etaler la reproduction sur plusieurs années.

Certaines espèces préforment les fleurs l’année précédant la floraison ce qui leur permet de fleurir de manière très précoce, ou étalent la maturation des graines sur plusieurs années. Cela permet un épanouissement rapide des fleurs dès l’arrivée des conditions favorables. Le rhododendron ferrugineux prépare ses fleurs dans des bourgeons l’année précédant la floraison, ce qui leur permet de fleurir de manière très précoce.

Fleur de Rhododendron. Rhododendron ferrugineum, L. – Ericacées
Bourgeons de Rhododendron

Vivre longtemps.

La laîche courbée est un exemple de plante formant des touffes. Elle domine dans de nombreuses pelouses des montagnes de l’Europe tempérée. Des études récentes utilisant des méthodes de typage moléculaire  ont confirmé la similitude génétique des ramets présents au sein d’une même touffe. En se fondant sur un accroissement annuel moyen de 0,4 mm par an, l’âge d’un clone comprenant 7000 ramets a été estimé à environ 2000 ans !

Laîche courbée. Carex curvula, All – Cypéracées
Azalée naine. Kalmia procumbens (L.) Gift, Kron & P.F.Stevens ex Galasso, Banf – Ericacées

L’azalée naine est une espèce Artico-alpine, qui étale ses tiges sur les rochers en haute montagne. Sa forme en coussinet dense est caractéristique des conditions de milieux dans lesquels elle vit (vent, enneigement, amplitude thermique, sécheresse). Ses tiges ne s’accroissent que de quelques millimètres par an. Des coussinet de plusieurs décimètres de diamètres ont ainsi plusieurs centaines d’années !

Anciennement décrite dans le genre Azalea elle est maintenant classée dans le genre Kalmia.

Les records de longévité se rencontrent chez les Gymnospermes dont les pins à crochets font partie. En France les pins qui se trouvent sur les crêtes du massif du Néouvielle, ont plusieurs centaine d’années. des analyses dendrométriques effectués en 1984, montraient que certains arbres avaient plus de 750 ans !

Pin à crochets, massif du Néouvielle, hautes Pyrénées.

Augmenter la durée de floraison.

Silène rupestre Atocion rupestre, (L.) B. Oxelman – Caryophyllacées

En montagne, la période de floraison des espèces et la durée d’épanouissement des fleurs augmente avec l’altitude, ce qui compense la relative rareté des pollinisateurs. Le silène rupestre qui croit sur les rochers siliceux européennes fleurit du mois de juin au mois de septembre durant toute la saison de végétation. chaque fleur est ouverte presque deux fois plus longtemps en haute qu’en basse altitude : de 7,7 jours à 2200 m à 13,4 jours à 2900 m.

Savoir séduire.

En montagne, la période de floraison des espèces et de la durée d’épanouissement des fleurs augmente avec l’altitude, ce qui compense la relative rareté des pollinisateurs.

Avoir de grandes fleurs. Le Doronic à grande fleur est une espèce caractéristique des éboulis calcaires à enneigement prolongé aux étages subalpins et alpins. C’est une endémique des Pyrénées. Il forme des petites colonies stabilisant les pierriers. Les fleurs sont jaunes, en gros capitules solitaires (5 cm). Cette plante consomme beaucoup d’énergie à produire ces fleurs de grandes tailles, mais c’est pour mieux attirer les insectes qui sont plus rares en altitude.

Doronic à grandes fleurs Doronicum grandiflorum L. – Astéracées

L’anémone hépatique est une plante duveteuse, aux feuilles généralement persistantes pétiolées, en rosette, à trois lobes vert dessus, souvent brun rougeâtre ou violettes dessous, d’où le nom d’hépatique. Les fleurs sont généralement bleues parfois aussi blanches, roses ou pourprées avec de cinq à dix sépales ovales. Ces fleurs de différentes couleurs permettent d’attirer plusieurs types d’insectes du mois de mars au mois de mai.

Anémone hépatique Hepatica triloba, Chaix – Renonculacée
Orchis moucheron Gymnadenia conopsea, (L.) R. Br. – Orchidacées

Parmi les plantes, les orchidées sont celles qui ont développé les stratégies les plus sophistiquée pour attirer les insectes (mimétisme, pièges, odeur…) l

Chez la gymnadénie, ou orchis moucheron, la substance aromatique sécrétée par les fleurs est l’eugénol qui est celle du clou de girofle qui attire les papillons.  Les étamines sont soudées en deux petites boules jaunes, les pollinies, visibles sous le casque. Elles sont mûres avant l’ouverture de la fleur. Le pollen  ne peut pas féconder les parties femelles de sa propre fleur. Transporté par les insectes, il va féconder les parties femelles d’autres plantes visitées déjà mûres pour la fécondation.
Ce système  est largement répandu chez les plantes pour mieux croiser les gènes et éviter la dégénérescence des espèces.

La parnassie des marais est reconnaissable à ses fleurs blanches larges de 15-30 mm, à cinq pétales blancs et à nervures transparentes. Ces nervures qui réfléchissent les rayons UV guident les insecte vers les organes reproducteurs de la fleur. Cette fleur met en place d’une stratégie pour attirer les hyménoptères concernés et faciliter le transport des grains de pollen vers d’autres fleurs.
Les staminodes à la bases des pétales (ou étamines stériles) produisent du nectar pour attirer les pollinisateurs avec leurs extrémités en petites boules jaunes bien visibles.

Parnassie des marais Parnassia palustris, L. – Celestracées

Conquérir des territoires grâce à la reproduction végétative.

Pour éviter les aléas de la reproduction sexuée, de nombreuses plantes alpines ont recours à la reproduction végétative. Il ne s’agit pas d’une spécificité des végétaux de montagne, toutefois la proportion de plantes alpines utilisant ce mode de reproduction augmente avec l’altitude. Tous les modes de reproduction végétative sont rencontrés chez les plantes alpines : production de rhizomes ou de stolons, formation de touffes denses, de drageons, reproduction par marcottage, mais aussi la viviparité.

La viviparité, par exemple par production de bulbilles qui commencent à se développer sur le pied mère, et l’apomixie assurent une dispersion sur de plus grandes distances. Les inflorescences de la renouée vivipare (Polygonum viviparum L. Polygonacées) illustre bien la combinaison sur une même hampe florale de fleurs issues de la reproduction sexuée et de bulbilles issues de reproduction asexuée. La longueur de tige disponible pour les fleurs et les bulbilles étant constante, la proportion de bulbilles augmente avec l’altitude et avec la latitude. Autrement dit, la reproduction clonale est plus importante lorsque les conditions de vie deviennent plus di!iciles.

Renouée vivipare. Polygonum viviparum, L. – Polygonacées
Ceraiste des Pyrénées Cerastium pyrenaicum, Gay Caryophyllacées

Rhizomes et stolons. Ils permettent d’explorer l’espace, par exemple pour s’installer entre les pierres des éboulis. Si les mouvements des l’éboulis sont fréquents et intenses, les traumatismes ponctuels subis par les végétaux favorisent leur multiplication végétative, c’est-à-dire les possibilités de régénération après un choc ou la fragmentation de l’appareil végétatif, en particulier au niveau du rhizome. Le céraiste des Pyrénées est une espèce lithophile (qui aime les pierres), qui se rencontre en étage alpin dans les éboulis siliceux. Elle est notamment utilisée en montagne comme marqueur pour évaluer le degré de mobilité superficielle des versants d’éboulis.

Drageons et marcotage. Ces types de reproduction végétative permettent une occupation dense de l’espace qui a deux conséquences importantes sur les écosystèmes montagnards : la stabilisation des sols pentus et la fabrication d’un microclimat favorable aussi bien en termes de température que d’humidité. Chez le framboisier chaque pied constitué de dizaines de ramets, forment une végétation parfois très dense. Seule une analyse génétique permet d’identifier les différents pieds.

Framboisier Rubus idaeus – Rosacées

Avec leurs modes de reproduction multiples, les plantes alpines sont adaptées à leur environnement. Ces modes de reproduction sont très efficaces tant pour la stabilité des milieux que pour le maintien de la diversité génétique. Cette diversité génétique est peut-être une chance pour la flore alpine, qui se trouve confrontée aujourd’hui à un changement climatique majeur, avec une augmentation de température prévue au cours de ce siècle allant de 2 à 8 °C. Ce réchauffement, très rapide par rapport aux fluctuations de température au cours des alternances glaciaires, va entraîner une remontée des étages de végétation et réduire les sites favorables à la flore alpine.